L’homme qui voulait des coquelicots
À partir du 22/04/2019
Il n’est pas avare de belles histoire de nature et de récits de gens formidables. Écrivain, journaliste spécialiste d’écologie, Fabrice Nicolino n’a pas peur non plus de porter la plume dans la plaie d’une écriture mordante. Il a le désir de vie débordant, et son appel pour sauvegarder la beauté du monde emporte, comme le mouvement des coquelicots qu’il a initié en septembre 2018 avec Charlie Hebdo pour interdire les pesticides chimiques de synthèse.
Propos recueillis par Pascale Solana.
Comment l’idée de « Nous voulons des Coquelicots » a-t-elle germé en vous ?
Moi et les pesticides, c’est une histoire ancienne ! En 2001, j’avais interviewé pour Politis François Veillerette, le président de l’association Générations Futures, suite à la publication d’analyses sanguines de citoyens américains montrant que les hommes étaient en train de devenir des décharges de produits chimiques ! En 2007, j’ai coécrit un livre avec lui pour raconter comment les pesticides s’étaient imposés dans le paysage de la France. Dix ans plus tard, débat sur le glyphosate. J’ai pensé « Mais ça n’arrêtera jamais ! ». Parce que tout simplement, un nouveau pesticide chasse l’autre…
Avez-vous un exemple ?
Le DDT1, que le superbe livre de Rachel Carlson Printemps silencieux en 1963 contribuera à faire interdire dans les années 70. Le chlordécone2 prend le relais avant d’être interdit aux États-Unis en 1976. Mais dans les bananeraies des Antilles françaises, les dérogations des ministres de l’Agriculture successifs, de gauche ou de droite, permettront son usage jusqu’au début des années 90. Les sols y sont pollués pour des siècles et les taux de cancer de la prostate sont extraordinaires. Scandaleux ! Les néonicotinoïdes3 apparaissent dans les années 90. Pour les interdire, il faudra encore des années d’efforts, épuisant des générations de militants. Ils crient victoire tandis que, déjà, de nouveaux produits sont autorisés. Quels seront par exemple les effets des substituts aux néonicotinoïdes…? Voilà pourquoi, il y a 1 an j’ai proposé à l’équipe de Charlie d’analyser leurs cheveux, de publier les résultats puis avec une poignée de personnes de lancer les Coquelicots, un appel d’humains à humains !
Interdire les pesticides, est-ce réaliste ?
Pour moi, c’est loin d’être une utopie. C’est maintenant ou jamais. Si l’on n’agit pas maintenant, tous ensemble, il ne faudra pas se plaindre du résultat final. Cette situation d’urgence ab-so-lue est inédite. On sait de façon certaine et documentée scientifiquement que les oiseaux disparaissent par exemple. Le choc a été pour moi d’une grande violence quand j’ai découvert qu’un tiers d’entre eux avaient disparu des campagnes françaises en 15 ans ! Vous rendez-vous compte ? Le rythme s’accélère. Ce n’est pas mieux pour les insectes. Tout le monde peut le constater…
Ah, le pare-brise des voitures…
Mais oui. J’ai connu le temps où traverser la France en voiture nécessitait de s’arrêter régulièrement pour nettoyer énergiquement le pare-brise. C’est fini. S’il n’y a plus d’insectes, c’est la mort parce que des chaînes alimentaires entières s’effondrent. Peut-on accepter cet empoisonnement généralisé ? Il ne s’agit pas de rendre les pesticides responsables de tout, la situation est très complexe, mais ils jouent un rôle très important.
Vous êtes en colère ?
En fait, je ne supporte plus la brutalisation des sociétés industrielles et dont les firmes agrochimiques sont le symbole. Elles sont mues par une seule dimension, celle du profit à court terme sans considération pour le sort des êtres humains, des organismes vivants et pour la beauté du monde. Alors que nous tous réunis, on a tellement plus de dimensions !
« Rendez-nous la beauté du monde », clame l’Appel des Coquelicots : pouvez-vous préciser ?
La beauté, c’est fondamental. Elle disparaît sous nos yeux. C’est une des dimensions de ce combat à la fois esthétique, culturel, bien sûr politique et écologique. Ce qui conduit à la question suivante : dans quel monde avons-nous envie de vivre ? Les pesticides désorganisent tout. Tous les équilibres naturels simples. La beauté du monde, c’est la beauté simple, les abeilles, les papillons, les grenouilles, les fleurs…
« Les pesticides, c'est le maillon faible du système industriel. »
Pourquoi lutter contre les pesticides et pas pour le climat ?
Tout est lié. Ce système industriel qui fait notre malheur est telle une chaîne. Les pesticides, c’est le maillon faible ! C’est difficile d’entrer concrètement dans la question du climat, tellement large. Avec les pesticides, on touche à la relocalisation de la politique, au terrain, là où les gens se serrent les coudes.
Aujourd’hui le mouvement en est où ?
Lancé en septembre, il enregistrait jusqu’à 850 rassemblements en décembre et pas loin de 500 000 soutiens début février. Des citoyens de tous bords qui se retrouvent tous les premiers vendredis du mois devant une mairie, connus, inconnus, du maire à l’artiste comme Émilie Loizeau qui a composé un hymne des Coquelicots. Cette course de fond s’étalera sur 2 ans pour recueillir 5 millions de signatures.
Et après ?
Là, cela n’engage que moi. Pas les Coquelicots. Avec 5 millions de signatures, de nouvelles questions sont posées au gouvernement, quel qu’il soit. Question de confiance : dans un pays démocratique, on doit être entendu. De référendum, pourquoi pas. Je suis convaincu qu’on le gagnerait. Ce mouvement citoyen constitue un défi démocratique lancé à l’État.
Et si rien ne se passe ?
Cela n’engage que moi encore une fois, mais la désobéissance civile et pacifique est envisageable. La rupture du contrat social peut entraîner une rupture avec la loi. Parce qu’on n’est pas obligé d’accepter d’être empoisonné, de laisser des usines produire du poison, ni de fait, de payer des impôts. Mais il faut que je vous dise…, on a des projets !
Quels sont ces projets ?
Créer un état des lieux participatif avec des infos réunies par des milliers de petites mains, les nôtres ! Usines, épandages, conflits…, tout sur la France des pesticides !
Et un rêve ? Faites-nous rêver…
C’est le 2e projet ! Le refleurissement de la France ! La création d’un pool avec des semenciers, jardiniers, amateurs, etc. pour rassembler des dizaines de milliers de graines de fleurs sauvages, puis les ressemer via des groupes locaux. Imaginez de la ville à la campagne, ces lieux magnifiques où pousseraient des coquelicots et des fleurs sauvages. J’imagine aussi ces fleurissements vus du ciel, à la Yann-Artus Bertrand4. Ça aurait de la gueule !
Vous y croyez ?
Il y a des milliers de gens en mouvement, d’ailleurs pas mal de magasins Biocoop sont de la partie – bravo ! Oui, j’y crois. J’y crois fermement !
1 Dichlorodiphényltrichloroéthane, insecticide organochloré toxique, écotoxique et persistant dans l’environnement.
2 Insecticide organochloré connu sous le nom commercial de « curlone », proche du DDT.
3 Midaclopride mis sur le marché en 1991. Interdit en France sur le tournesol en 1999, sur le maïs en 2004
4 Auteur du livre de photos La France vue du ciel, Éd. de La Martinière
BIO EXPRESS
• Du Tour de France d’un écologiste (1993) à Un empoisonnement universel (2014) en passant par Bidoche (2009), il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont le dernier, Lettre à une petiote sur l’abominable histoire de la bouffe industrielle (2017). • A collaboré à de nombreux journaux en reporter, chroniqueur… – Geo, Terre Sauvage, La Croix, Le Canard enchaîné, Télérama ou encore Politis – et écrit régulièrement pour Charlie Hebdo. • Rescapé de l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, gravement blessé et hospitalisé pendant des mois, il en garde des séquelles comme il en a, triste ironie du sort, d’un précédent attentat au cinéma Rivoli Beaubourg à Paris en 1985. • Depuis 2007, il tient son blog Planète Sans Visa. • En septembre 2018, avec l’appui de Charlie, d’associations et de personnalités, il lance le mouvement « Nous voulons des Coquelicots ». |
Aller plus loin
Retrouvez l’interview de Fabrice Nicolino dans le n° 104 de CULTURE(S)BIO (à télécharger ici), le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.